La chronique du roman « Juste une ombre » de Karine Giébel

1

Tu te croyais forte. Invincible. Installée sur ton piédestal, tu imaginais pouvoir régenter le monde. Tu manipules ? Tu deviendras une proie. Tu domines ? Tu deviendras une esclave. Tu mènes une vie normale, banale, plutôt enviable. Tu as su t’imposer dans ce monde, y trouver ta place. Et puis un jour… Un jour, tu te retournes et tu vois une ombre derrière toi. À partir de ce jour-là, elle te poursuit. Sans relâche. Juste une ombre. Sans visage, sans nom, sans mobile déclaré. On te suit dans la rue, on ouvre ton courrier, on ferme tes fenêtres. On t’observe jusque dans les moments les plus intimes. Les flics te conseillent d’aller consulter un psychiatre. Tes amis s’écartent de toi. Personne ne te comprend, personne ne peut t’aider. Tu es seule. Et l’ombre est toujours là. Dans ta vie, dans ton dos. Ou seulement dans ta tête ? Le temps que tu comprennes, il sera peut-être trop tard…

Il est sorti en poche aux Éditions Pocket le 7 mai 2013, 608 pages, 7,80€.

MON AVIS :

On pourrait relever plein de choses négatives à propos de ce roman, à savoir qu’il reprend notamment les clichés du genre dans lequel il s’inscrit : femme forte au boulot + femme faible sentimentalement = victime idéale, le flic blasé et bourru qui ne vit que pour son enquête, le harceleur qui tire les ficelles dans l’ombre. On pourrait aussi pinailler sur le fait qu’on devine l’identité du psychopathe, voire certaines de ses « méthodes », avant la fin, mais, et c’est un grand mais, Juste une ombre est un thriller qui fait machiavéliquement monter la pression chez le lecteur grâce à un style aussi incisif qu’un scalpel, qui s’attaque d’emblée à notre raison pour mieux la mettre à mal en mettant en lumière les rapports de force dans la séduction qui tournent à la dépendance, à l’avilissement et à une perte de dignité flagrante. Ce qui compte, ce n’est pas ce qu’on nous raconte, mais comment on nous le raconte.

Disons-le clairement, ce livre est un véritable page-turner qu’il fait plaisir de lire pour la qualité de l’écriture au ton grave et poétique par moments, qui n’est pas exempte d’humour, mais surtout pour cette belle maîtrise de la pression qui nous donne l’impression de partager le wagon de la femme harcelée tandis qu’il file sur d’abominables montagnes russes, avec le sentiment que la mort nous attend au bout.

Les chapitres sont courts, ils vont à l’essentiel et tapent immanquablement dans le mille en nous permettant de suivre tantôt Chloe, la victime du harceleur, tantôt le harceleur lui-même, et enfin, enfin, enfin, un personnage unique, écorché vif mais d’une très belle humanité, le commandant de police Alexandre Gomez. (Amoureuse, j’ai été.) Dès le début, j’ai trouvé Chloe imbuvable, et à travers elle, l’auteure réalise encore une fois un sacré tour de force en nous faisant compatir, trembler avec elle alors qu’on est souvent tenté de se dire « bien fait pour elle ». Mais il est impossible de rester de marbre devant son malheur tant son bourreau ne lui épargne rien.

L’auteure est une gentille sadique qui s’acharne sur la psychologie de ses personnages déjà très abîmés par la vie et qui se retrouvent dans la ligne de mire d’un pervers doté d’une grande intelligence. On devient les témoins de la paranoïa grandissante de Chloe qui, chaque fois qu’elle entrevoit un espoir, rechute. Les situations imaginées par le harceleur visent toutes à faire exploser la sécurité de son quotidien, il l’attaque sur tous les fronts et partage son omniscience avec elle, achevant de la déstabiliser. Il est partout, tout le temps, même quand il n’est pas là. Il est devenu son ombre.

Sans spoiler, sachez que j’ai beaucoup aimé les cent dernières pages car Karine Giébel ne nous emmène pas là où on s’y attend. Non. Elle pousse la folie à son paroxysme et dessine une fin tragique très appréciable.

Bref, un super thriller, très prenant et angoissant. Le style de l’auteure est un énorme coup de poing tout du long, et je signe d’emblée pour tous les romans qu’elle a pondu et pondra à l’avenir. Que ceux qui ne sont pas amateurs de thrillers tentent l’aventure avec Juste une ombre, vous pourriez être agréablement surpris.

Ecrit par Julie